ÉPISODE 10 – Les mouvements de caméra incroyables de Panic Room
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La scène : Cloîtrée avec sa fille dans un bunker caché au cœur de sa maison, Meg Altman se pense en sécurité. Mais les hommes qui se sont introduits chez elle ont découvert un point faible dans sa « panic room » : une ventilation qui leur permet de diffuser du gaz très inflammable.
En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Pour ce nouveau numéro de notre rubrique, on se penche sur les ambitions technologiques démesurées de David Fincher pour Panic Room. Une exigence qui nécessite une préparation à la hauteur, assurée grâce à un outil formidable : les prévisualisations, ou previz. Responsable d’une large portion de ces brouillons de plans en images de synthèse, le Français Laurent Lavigne nous raconte son expérience sur ce film.
_Par Julien Dupuy
Le rêve américain
Laurent Lavigne : « J’ai suivi une formation en science et informatique en France. Mais je ne voulais pas faire de recherche ou devenir informaticien : la seule chose qui m’intéressait, c’était de faire de belles images, de créer des mondes. Je rêvais devant ce qui était présenté chaque année au Siggraph [séminaire présentant les dernières avancées en matière d’image de synthèse – NDLR].
Au début des années 1990, je suis donc parti aux États-Unis et j’ai rencontré plusieurs personnes, comme le dirigeant de la société d’effets spéciaux PDI, juste avant que DreamWorks ne les rachète pour leur secteur dédié à l’animation. Par ce biais, j’ai suivi une formation de deux ans à l’USC, l’école de cinéma de Los Angeles. Nous étions alors en 1994, à l’époque où les logiciels d’images de synthèse ne fonctionnaient que sur des ordinateurs qui valaient plus de 20 000 euros, et où aucun enseignant ne connaissait la 3D. Nous avions donc une formation sur des outils plus traditionnels et, parallèlement, nous apprenions en autodidactes le maniement de Softimage 3D ou Alias 3D.
À l’USC, j’ai appris l’écriture de scénario, l’animation par banc-titre, la photographie photochimique… Tous ces travaux m’ont apporté une ouverture d’esprit et un savoir-faire précieux. Quand on travaille sur du physique, on comprend très rapidement ce qui est fondamentalement important au cinéma : en l’occurrence, j’ai, à cette époque, réalisé que c’est l’équipe qui prime et ensuite les technologies. »
La laideur au service du beau
« Quand je suis sorti de l’USC, l’utilisation des effets spéciaux numériques au cinéma explosait. Trouver un boulot à Los Angeles était très facile. Mais après avoir passé 10 ans dans les effets spéciaux, je me suis lassé.
Un ami de Softimage m’a alors conseillé de contacter une compagnie de previz : il s’agit de story-boards réalisés en images de synthèse très basiques, qui permettent au réalisateur de planifier sa mise en scène. Ça ne m’intéressait pas franchement, parce que la 3D des previz était franchement moche. Mais il a insisté et j’ai fini par céder.
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Colin Green de Pixel L iberation Front, une personne qui avait un œil absolument incroyable. J’ai commencé sur un clip et il m’a proposé ensuite de travailler sur le nouveau film de David Fincher, Panic Room. J’ai sauté sur cette occasion de bosser avec celui qui était, et reste, un de mes cinéastes favoris. »
Maîtres et élève
« Dans la pratique, je faisais ces brouillons numériques de plans, en partant des story-boards dessinés par Peter Ramsey, qui a depuis réalisé Les Cinq Légendes ou Spider-Man – New Generation. J’avais une banque d’éléments en images de synthèse à ma disposition : le décor à l’échelle de la maison, différents personnages et plusieurs accessoires.
En me basant sur les dessins de Peter, je plaçais mes éléments, les animais puis je mettais en place les mouvements de caméras. Fincher s’asseyait ensuite à côté de moi pour affiner mon travail : il me demandait de changer de lentilles, de modifier les mouvements de caméras, etc.
Je ne connaissais pas du tout la syntaxe cinématographique, donc je lui posais des questions et il avait la patience de tout m’expliquer ! Il était si passionné, si précis dans sa façon d’exposer ses choix, qu’il m’a fait comprendre énormément de choses. Il était mon premier professeur de mise en scène en réalité ! Grâce à ce travail, je n’étais plus dans la théorie, j’étais dans la pure pratique. »
Planifier le tournage
« Une fois que David était satisfait, Darius Kondhji [premier directeur de la photographie attaché à Panic Room – NDLR] vérifiait tout et mettait à son tour sa patte. C’était une expérience absolument phénoménale. Peter, David et Darius ont une maîtrise de leur métier incroyable.
Et j’ai compris, alors que ces images de synthèse très laides racontaient quelque chose, qu’elles provoquaient des émotions. Quand nous montions mes plans, il était déjà évident que tout fonctionnait. Et pourtant, les personnages, l’animation, les décors étaient très basiques. Je suis aussitôt tombé amoureux du langage cinématographique.
Et puis ce qui était passionnant sur Panic Room, c’est que la maison avait été entièrement reconstituée en studio. Or, l’un de nos rôles était de déterminer quels morceaux des décors devaient être escamotables pour laisser passer les caméras. Nous avions donc dans notre banque d’images de synthèse, les caméras, mais aussi une partie de la machinerie, comme une grue technocrane [système de grue radiocommandée, au bras télescopique – NDLR].
Une fois les plans définis, nous concevions des tech viz : il s’agissait de diagrammes qui expliquaient la mise en place des caméras, des décors et de la machinerie. Nous pouvions ainsi nous assurer que tous les plans prévus pourraient être tournés sans encombre des semaines plus tard. »
M. Laurent à Hollywood
« Tout de suite après Panic Room, j’ai travaillé sur Matrix Reloaded et Revolutions avec les Wachowski et John Gaeta, le superviseur des effets spéciaux. J’ai ensuite travaillé pour Doug Liman et Michael Bay, avec qui je me suis si bien entendu qu’il a changé le nom du personnage joué par Djimon Hounsou dans The Island pour l’appeler “M. Laurent” !
Sur certains de ces films, comme The Island mais aussi Transformers ou Jumper, j’ai également fait du development viz : il s’agissait de previz destinées à vendre le film et la vision du metteur en scène aux studios, donc conçus avant que le film ne soit officiellement lancé.
C’est un travail fascinant, puisque l’on était juste invité à créer des plans en compagnie de ces cinéastes, sans aucune véritable contrainte. Si les previz sont énormément utilisés au cinéma aujourd’hui, le métier a changé, il est devenu extrêmement hiérarchisé, même s’il reste des réalisateurs très attachés à cette proximité dans le travail.
Pour ma part, j’ai quitté le milieu après Jumper : je voulais concevoir des jeux vidéo et découvrir le monde. C’est donc ce que j’ai fait ces dernières années. Mais aujourd’hui, j’ai une énorme envie de revenir au cinéma. »
Pour aller plus loin
Laurent Lavigne a posté sur YouTube plusieurs exemples de son travail pour Matrix Reloaded et Révolutions, mais aussi Mission : Impossible 3 et évidemment Panic Room.
The Third Floor, ancien département affilié à LucasFilm, est actuellement le leader en matière de prévisualisation. Leur site comporte quantité d’exemples de leur travail.
https://thethirdfloorinc.com/
Et sur cette vidéo de The Third Floor, une explication par l’image de la Techviz, déclinaison fascinante de la prévisualisation (en anglais non sous-titré).
Le fondateur du studio, Chris Edwards, a accordé une interview au site 3DVF sur son métier en général, et sur son travail sur la série The Mandalorian en particulier.
https://www.3dvf.com/redaction/mandalorien-previsualisation-et-nouveaux-pipelines-chris-edwards-the-third-floor-nous-repond/
Un maître à l’œuvre : Steven Spielberg travaille sur les préviz de La Guerre des Mondes dans ce petit reportage (en anglais non sous-titré).
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