ÉPISODE 14 – La mer ouverte en deux dans Les Dix Commandements
Explorez le cinéma selon vos préférences
Découvrez la toute nouvelle expérience dédiée aux passionnés de cinéma : un moteur de recherche intelligent, des expériences exclusives, des contenus inédits et personnalisés.
Créez gratuitement votre compte pour bénéficier des Privilèges We Love Cinéma!
La scène : Acculés au bord de la Mer Rouge par les soldats de Ramsès II, les Hébreux portent tous leurs espoirs en leur guide, Moïse. En entendant leur appel, Dieu accomplit un miracle : la mer se scinde en deux pour leur laisser un passage.
En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Cette fois, nous vous parlons de la scène grandiose du chef-d’œuvre opératique de Cecil B. DeMille. L’ouverture de la Mer Rouge est un bijou d’effets spéciaux optiques, ciselés par une légende du cinéma : John P. Fulton.
_Par Julien Dupuy
Le plus grand film du monde
Il est rarissime qu’un cinéaste conçoive un remake de son propre film. Ce fut pourtant le cas de l’un des premiers réalisateurs star d’Hollywood, Cecil B. De Mille. En 1923, le cinéaste porte à l’écran un des films des plus ambitieux jamais produit, Les Dix Commandements. Sa superpoduction bénéficie d’un budget record pour l’époque de 1,5 millions de dollars. Mais la technique encore balbutiante du cinéma, l’empêche d’obtenir satisfaction sur certaines scènes phares du film, à commencer par l’ouverture de la Mer Rouge.
Il aura l’occasion de rectifier le tir 23 ans plus tard, avec un remake des Dix Commandements qui dépasse en ambition tout ce qu’il a pu entreprendre jusqu’alors. Dès la préproduction, l’ampleur du film est éclatante : le scénario demande trois ans de travail, DeMille commande des dizaines de peintures pour représenter les scènes clé de son film et exige la conception de plus de 1 200 cases de story-boards.
Lors de sa première réunion avec l’équipe des effets spéciaux, le cinéaste leur déclame avec un ton grandiloquent, totalement en accord avec le caractère opératique de ses films : « Messieurs, j’attends de vous que vous imaginiez des images qui vont nous permettre d’offrir un spectacle sans égal… Et ni vous, ni aucun spectateur, ne saura jamais par quel miracle technologique nous sommes parvenus à de telles prouesses ! » Car DeMille le sait : la véritable clé de la réussite de cette séquence repose sur les épaules d’un seul homme, John P. Fulton.
Les collages de Fulton
C’est contre l’avis de ses parents que le jeune Fulton débute sa carrière dans l’industrie du cinéma dans les années 1920. Il commence par fréquenter les plateaux du réalisateur D. W. Griffith, puis rejoint la première compagnie d’effets spéciaux au monde, le Frank William Laboratory, dont nous vous avions parlé dans un épisode consacré aux Temps Modernes de Charlie Chaplin. D’abord employé d’Universal, il conçoit des séquences incroyables pour les films de monstres du studio, en particulier pour La Fiancée de Frankenstein et L’Homme invisible.
Parallèlement, Fulton travaille ponctuellement pour la MGM, puis part à Paramount en 1953. Fulton est un génie des trucages optiques : il est passé maître dans l’art des plans composites, autrement dit des images réunissant plusieurs prises de vues. La plupart de ses travaux reposent sur un collage entre une ou plusieurs prises de vue réelle, une maquette ou une peinture hyperréaliste.
Et ces prouesses sont accomplies grâce à un outil fondamental dans les trucages photochimiques : la tireuse optique. L’engin se compose de deux projecteurs et d’une caméra. Chaque projecteur diffuse une portion du plan composite et les deux images sont réunies en étant filmées par une caméra, équipée d’une lentille macro.
Un plan façon puzzle
En termes de trucages optiques, peu de films sont allés aussi loin que Les Dix Commandements dans les années 1950 : les scènes montrant les Hébreux traversant la Mer Rouge réunissent jusqu’à huit éléments différents. Les murs d’eau tout d’abord, sont obtenus en filmant de côté des cascades conçues dans un bassin de la Paramount. Pour obtenir une masse convaincante, ces plans sont tournés au ralenti et l’eau est épaissie avec de la gélatine. Il suffit d’inverser la position de la caméra, pour filmer le mur d’eau opposé.
Les Hébreux sont, eux, filmés en Égypte mais avec « seulement » 60 chariots et 600 figurants. Pour atteindre l’ampleur visée par DeMille, ces figurants sont démultipliés par trois à l’image, autrement dit projetés à trois reprises sur le plan final, sur différentes sections de l’image. Le ciel, lui, est obtenu en filmant de la peinture en suspension dans un grand aquarium d’eau.
Ensuite, l’artiste Jan Domela peint en trompe-l’œil des rochers qui bordent le convoi des Hébreux : ces petites peintures hyperréalistes permettent de cacher les raccords entre les plans tournés dans le bassin, et les plans tournés avec les figurants. Enfin, pour affiner le résultat final, l’équipe de Fulton ajoute par surimpression de petites fumerolles sur certains plans.
La complexité de ces images est telle, que même si les truquistes travaillent 24 heures sur 24, ils échouent à finir dans les temps : les premières copies diffusées aux États-Unis le 5 octobre 1956 pâtissent d’effets spéciaux grossiers, qui détonnent au sein de la tenue technique exceptionnelle de ce péplum récompensé d’un Oscar des effets spéciaux.
Résurrection
Art par essence technologique, le cinéma se montre impitoyable avec ses grands inventeurs. C’est encore plus le cas quand l’âge d’or d’Hollywood touche à sa fin : les studios ferment leurs départements dédiés aux effets spéciaux, plongeant le cinéma dans un âge techniquement bien ténébreux.
Pourtant, le matériel utilisé par Fulton sur Les Dix Commandements connaît une seconde vie inespérée. Vingt ans après la sortie du film en salles, un jeune technicien, Richard Edlund, visite feu le département des effets spéciaux optiques de la Paramount. Il y retrouve la tireuse optique laissée à l’abandon, la rachète pour une poignée de dollars et la restaure.
Cette machine deviendra l’une des pièces centrales des effets spéciaux optiques d’un autre film amené à faire date dans le genre : La Guerre des étoiles.
Pour aller plus loin
- John P. Fulton reçoit son Oscar pour Les Dix commandements des mains de Dorothy Dandridge. Cette 29e cérémonie était présentée par Jerry Lewis (en anglais non sous-titré).
- La chaine The Solomon Society propose un montage de toutes les scènes représentant la traversée de la Mer Rouge par les Hébreux, du premier film de DeMille à Exodus de Ridley Scott (en anglais non sous-titré).
- Une featurette promotionnelle d’époque, avec Cecil B. DeMille en guise de présentateur (en anglais non sous-titré).
- Le laboratoire partagé « L’Abominable » met à disposition une tireuse optique. Le fonctionnement de l’appareil est expliqué, avec des schémas très clairs, sur cette page.
- Et pour, comme à notre habitude, terminer sur une note plus légère, une parodie des 10 Commandements par l’équipe du Saturday Night Live, avec le retour de Charlton Heston dans le rôle de Moïse et Rob Schneider, à la place d’Edward G. Robinson, dans le rôle de Dathan (en anglais non sous-titré).
Explorez le cinéma selon vos préférences
Découvrez la toute nouvelle expérience dédiée aux passionnés de cinéma : un moteur de recherche intelligent, des expériences exclusives, des contenus inédits et personnalisés.
Créez gratuitement votre compte pour bénéficier des Privilèges We Love Cinéma!