ÉPISODE 17 – Le plan-séquence fou des Fils de l’homme
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La scène : En route pour rejoindre un repère d’activistes politiques, Theo Faron et les cinq passagers d’une voiture sont pris en embuscade au milieu d’une forêt.
En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Pour cet épisode, on met en lumière le travail et le talent d’opérateurs caméra virtuoses, qui ont filmé cette scène magistrale.
Par Julien Dupuy
Les hommes à la caméra
Considérant que la caméra représente le point de vue du narrateur, l’opérateur caméra a un rôle de premier plan sur un film. Qu’il s’agisse des longs travellings de Garrett Brown, opérateur du harnais de stabilisation Steadicam sur Shining, ou des images saisies « sur le vif » par Silvano Mancini sur le film de guerre La Bataille d’Alger, ces hommes de l’ombre ont à chaque fois insufflé leur style, voire même leur sensibilité, sur les projets auxquels ils ont contribué.
Ce constat se confirme avec Les Fils de l’homme, un chef-d’œuvre de la science-fiction réalisé par Alfonso Cuarón. Pour cette dystopie située dans un monde devenu stérile, le réalisateur mexicain souhaite conférer un réalisme maximal aux scènes les plus intenses, tout en montrant comment un monde aussi précaire peut rapidement basculer dans le chaos. Or, parce qu’il est dénué de coupes au montage (du moins apparentes), le plan-séquence s’apparente à un instant brut de la vie de ses personnages.
Les Fils de l’homme s’articule donc autour d’une série de plans-séquences qui débutent, le plus souvent, dans une quiétude relativement quotidienne (dans l’ouverture du film, Theo s’achète un café à emporter dans une boutique bondée), pour être rattrapé par une violence exacerbée (à peine Theo est-il sorti dans la rue, que l’établissement est détruit par une bombe).
Poussant à l’extrême les possibilités offertes par son médium, Cuarón sollicite les talents de plusieurs opérateurs caméras, parmi lesquels Gary Thieltges, Frank Buono et George Richmond, tous placés sous la direction du directeur de la photographie, Emmanuel « Chivo » Lubezki.
Le plus long de ces plans-séquences (12 pages de scénario tournées d’un bloc !) et le plus impressionnant techniquement survient au terme du premier acte, quand le personnage principal embarque dans un voyage en voiture, stoppé par une embuscade. Une scène entièrement captée dans un habitacle exigu, transportant cinq passagers, sur une route qui va se transformer en champ de bataille.
Nouveaux outils
Au cours de la préproduction, Cuarón et Lubezki passent en revue tous les outils disponibles. Et les options ne sont pas légion : au début de leurs réflexions, ils envisagent de filmer l’intégralité de la séquence dans une voiture cernée d’un cyclorama vert, qui serait remplacé en postproduction par le paysage.
Mais cette solution ne convient à personne. Opter pour un tournage en studio priverait la scène des interactions lumineuses extrêmement complexes entre les personnages et l’environnement : les ombres des arbres, les reflets lumineux, bref toutes ces choses si compliquées à simuler numériquement.
Finalement, le duo débloque la situation, en découvrant deux nouveaux systèmes conçus par Doggicam System. Ils contactent le président de la société, Gary Thieltges, et lui donnent trois jours (!) pour mettre au point un prototype fonctionnel.
Trop beau pour être vrai
La clé du tournage réside tout d’abord dans la conception de la voiture. Une Fiat Multipla est désossée et la carlingue est fixée sur une plateforme motorisée conduite, au ras du bitume, par deux cascadeurs cachés par le bas du véhicule : le premier conducteur est à l’avant de la Fiat ; le second, situé au niveau du coffre, prend le relais quand la voiture progresse en marche arrière.
Parallèlement, le toit de la Fiat est découpé pour y fixer une structure en H, comprenant deux PowerSlides de Doggicam System : ces courts rails de travelling permettent à la caméra de couvrir toute la surface de l’habitacle. La caméra elle-même, une Arri, est fixée sur une autre invention de Thieltges, la Sparrow Head 400 : cette tête stabilisée en fibre de carbone, permet à la caméra de tourner et de panoter. Le réalisateur, accompagné de Lubezki et de Frank Buono, opérateur caméra sur ce long plan, sont placés eux dans une structure fixée au sommet de la voiture.
Malgré toutes ces astuces, la place manque dans l’habitacle et les acteurs doivent baisser leurs sièges dès qu’ils sont hors champ pour laisser circuler l’engin. Une chorégraphie complexe entre Buono et les comédiens est donc mise en place, même si l’opérateur bénéficie d’une légère latitude pour s’adapter aux impondérables de ce long plan.
La précision du résultat final ébahit toute l’équipe, même si Cuarón regrette que le mouvement soit si parfait, « que personne ne croira que l’on a filmé cette scène en live, dans le véritable habitacle de la voiture ! »
Un miracle sanglant
Cuarón va obtenir, malgré lui, une image en lien direct avec le chaos du monde qui entoure les protagonistes, dans un autre tour de force du film : un plan-séquence tourné à l’épaule (en réalité, par un opérateur à pied, George Richmond, avec une caméra attachée à une sangle autour de son torse), en pleine guérilla urbaine.
Techniquement moins exigeant, mais tout aussi époustouflant que la scène de la voiture, ce plan-séquence demande 12 jours de tournage : sa mise en place est extrêmement lourde et le nombre de comédiens et d’effets pyrotechniques complique d’autant sa conception. Tel un reporter de guerre, Richmond doit composer avec un environnement foisonnant et potentiellement dangereux, qui influe fatalement sur sa façon de filmer son environnement.
Au douzième jour, le plan semble enfin être en boîte, quand soudain une explosion projette un peu de (faux) sang sur l’objectif. Cuarón entre dans une colère folle, jure à tout-va (en espagnol, si l’on en croit les témoignages). Mais Lubezki ne l’écoute pas et ordonne à George Richmond de continuer à filmer alors que le réalisateur continue d’enrager. Sa colère descendue, Cuarón qualifiera ces taches de sang de « miraculeuses » !
Pour aller plus loin
Cette page du magazine américain de référence sur les directeurs de la photographie, American Cinematographer, propose quelques photos étonnantes des coulisses des Fils de l’homme.
https://ascmag.com/articles/ac-gallery-children-of-men
L’opérateur George Richmond parle de son expérience sur Les Fils de l’homme, alors qu’il reçoit un prix récompensant son travail sur le film (en anglais non sous-titré).
Alfonso Cuarón explique, pendant dix minutes extrêmement denses, ses principes de mise en scène sur Les Fils de l’homme (en anglais non sous-titré).
Un petit making-of, également disponible sur le DVD et le Blu-ray du film, sur les coulisses des plans-séquences du film. On y parle, principalement, de la scène de la voiture (en anglais non sous-titré).
Les habitués de la rubrique le savent, nous vous proposons toujours en conclusion une perspective plus amusante sur le film traité. Pour cet épisode, nous vous conseillons cette vidéo du Fossoyeur de films qui tente, avec son équipe, de remonter le film de Cuarón comme s’il était réalisé par Guy Ritchie, des frères Dardenne ou Nicolas Winding Refn.
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