ÉPISODE 19 – Le décor monument d’Eiffel
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La scène : À 80 mètres du sol, et sous le regard aiguisé de Gustave Eiffel, des ouvriers assurent la jonction délicate entre les pieds de sa Tour.
En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Dans cet épisode, le chef décorateur Stéphane Taillasson nous raconte comme il a reconstruit le monument le plus visité du monde, pour l’épopée romantique de Martin Bourboulon. Entretien
Par Julien Dupuy
PREMIERS PAS
« Adolescent, je voulais devenir professeur de sport ! Mais à la fin du lycée, j’ai commencé à travailler dans le théâtre, ce qui m’a ouvert à tout un nouveau milieu. J’ai alors pensé devenir scénographe lumière, mais j’ai raté l’examen de Rue Blanche [surnom de l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, ndlr] donc je suis allé en Fac de cinéma, à Paris 8. Pour mon stage de DEUG, une amie m’a coopté pour travailler dans le département décoration et ensuite tout s’est enchaîné !
J’ai longtemps été premier assistant, principalement de Sylvie Olivé : j’aimais le caractère pragmatique inhérent au poste de premier assistant, qui doit gérer les budgets et l’organisation. Cependant, on m’a un jour proposé de faire le film de Mathieu Amalric, Tournée, en tant que chef décorateur. Comme il s’agissait d’un petit film, assez simple en termes de déco, j’ai accepté.
Ce film a eu un écho formidable et, alors que je m’apprêtais à retravailler sous la direction de Sylvie Olivé, on m’a proposé de continuer à être chef décorateur sur une comédie produite par Dominique Farrugia. Ce dernier m’a ensuite proposé d’autres films et, depuis, je ne suis plus jamais retourné au rôle de premier assistant. »
UNE QUESTION DE PERSONNAGES
« Ce que j’aime dans mon métier, c’est enrichir les personnages. Tout mon travail tourne autour d’eux : je définis leur statut social, leurs sentiments et leurs actions dans l’environnement que je dois construire.
J’ai donc besoin d’établir d’abord une scénographie, une mise en place des principaux éléments du décor, avant de plancher sur la décoration à proprement parler. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime autant travailler avec Martin Bourboulon, le réalisateur d’Eiffel : avec lui je peux définir très en amont toute la scénographie, avant de rentrer dans le détail, comme la peinture ou le papier peint par exemple. »
EN QUÊTE DE MODERNITÉ
« En toute humilité, je n’ai pas été réellement intimidé quand Martin m’a proposé de travailler sur Eiffel. J’ai une forme d’inconscience je pense ! Il me fallait surtout un excellent premier assistant, en l’occurrence Gilles Boillot, sur qui je pouvais m’appuyer pour tout l’aspect logistique du projet.
Ensuite, il fallait définir la direction artistique du film. C’était formidable de se plonger dans cette époque, mais en même temps nous ne cherchions pas à obtenir une reconstitution historique parfaite : Martin voulait avant tout concevoir un film moderne. Donc après avoir ingurgité toute la documentation, je devais m’en détacher.
À l’époque, tout était lourd : les lampes étaient volumineuses, il y avait beaucoup de tapisseries et des dessus de cheminée très chargés. Or, nous voulions alléger tout cet environnement, enlever des couches pour ne garder que l’essentiel. Autre exemple pour sortir des carcans de l’époque : j’ai utilisé des meubles anglais, dont les textures et les formes me semblaient moins pesantes. J’ai également peint toutes les cloisons de l’atelier d’Eiffel en noir brillant pour réveiller les surfaces, au lieu de conserver le bois massif, très prisé à l’époque. »
LE DÉCOR POLYVALENT
« Dans le scénario, il y avait plein de petites scènes qui se situaient sur la tour, à différentes étapes de sa construction. En discutant avec Martin, le chef opérateur Matias Boucard et le superviseur des effets spéciaux, Olivier Cauwet de Buf, nous avons convenu que plus nous tournerions en décor physique, mieux ce serait pour les comédiens, la mise en scène, la lumière et les effets spéciaux.
Partant de là, j’ai essayé de concevoir un seul grand décor en extérieur qui, avec un minimum de modifications, pourrait s’adapter à chaque séquence. Il fallait, en quelque sorte, créer un décor polyvalent. La structure très répétitive de la tour nous a beaucoup aidés sur ce point.
Je me suis donc arrêté sur une portion du pied de la Tour, que j’ai surnommée "Le Rocher". Ainsi, pour les scènes situées au début de la construction, nous pouvions tourner au sol, autour du pied, avec une portion du décor effacée par Buf. Pour la scène du déjeuner avec Eiffel et sa fille, nous pouvions agrémenter le sommet du "Rocher" d’un plancher. Pour la scène du coucher de soleil, que nous surnommions la "scène Titanic", nous retirions le plancher et ajoutions des sortes de petites échelles. Enfin, pour la grosse scène de la jonction des poutres, nous avons placé un fond vert sur le côté et sous les comédiens pour créer des extensions de décors numériques et ainsi faire croire que la scène se situait bien à 80 mètres du sol. »
TITANESQUE
« L’ingénierie de la tour a été un énorme dossier, en particulier parce que le pied est penché. Il a fallu que l’on fasse analyser notre projet par des bureaux d’étude, pour nous assurer que la structure serait suffisamment solide pour accueillir l’équipe. Ensuite, nous avons coulé une fondation du pied en béton, pour supporter ce déport.
Heureusement pour nous, Eiffel était brillant : sa tour est conçue de sorte qu’elle n’a pas de prise au vent, ce qui nous a beaucoup aidés. Tout était démesuré sur ce film : nous avons souvent des béquilles pour soutenir des décors. Mais ces béquilles sont habituellement des battants de 30x60 cm. Sur Eiffel, nous avions besoin de troncs d’arbres qui faisaient quinze mètres de haut !
Les proportions étaient dingues. Il y a eu des grands moments de solitude quand on a monté le pied : c’était comme dans la scène de la jonction. Nous avions construit des poutres supportées par des grues qui faisaient quinze mètres de long. Et tout devait être parfait, au centimètre près. »
DÉCO ÉCO
« Le décor de la tour est constitué de béton, d’acier, de bois, de polystyrène et de plastiques (notamment pour les faux rivets qui ont bénéficié d’une superbe patine). À l’heure où je vous parle, le "Rocher" n’a pas encore été démonté : il a été question que la région le récupère pour organiser des visites.
Mais si un décor comme celui-ci est démonté, chaque matériau sera optimisé autant que possible : un ferrailleur rachètera le métal, les rideaux sont revendus et les feuilles de décors sont récupérées par une association pour être réemployées ensuite. Aujourd’hui, et même si tout n’est pas encore parfait, on essaie d’être les plus responsables possibles quant à la pollution générée par nos travaux. »
Pour aller plus loin
Un petit making-of sur la construction des décors d’Eiffel.
Une table ronde avec la productrice, le chef opérateur et le superviseur des effets spéciaux d’Eiffel.
Et en accompagnement de cette table ronde, une vidéo démo du travail de Buf sur Eiffel, qui permet d’admirer celui de Stéphane Taillasson avant l’intervention de l’équipe des effets spéciaux.
https://buf.com/films/eiffel/
Collaboratrice de Stéphane Taillasson, Maïté Goblet a posté quelques-uns des dessins qu’elle a signés pour Eiffel sur son site.
https://maitegoblet.ultra-book.com/illustrations_pour_le_cinema_films_decors_d__039_epoque-p78389
À l’occasion de la sortie d’Eiffel, l’émission d’Arte « Blow-Up » a consacré un épisode sur les apparitions de la Tour Eiffel au cinéma.
https://www.arte.tv/fr/videos/100210-069-A/blow-up-la-tour-eiffel-au-cinema/
Pour les passionnés de décor, nous ne saurions trop vous conseiller le site de l’Association des Décoratrices et Décorateurs de Cinéma, qui poste régulièrement des entretiens exclusifs.
https://www.adcine.com/
Et pour notre habituelle vidéo décalée, terminons avec cet improbable reportage sur un projet de déplacement de la Tour Eiffel publié le…1er avril 1964.
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