ÉPISODE 3 – Fitzcarraldo : faire grimper un bateau au-dessus d’une montagne
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L’histoire : Début du XXe siècle. Brian Sweeney Fitzgerald, surnommé Fitzcarraldo, embarque des centaines d’ouvriers amérindiens dans un projet totalement insensé : hisser un énorme bateau au-dessus d’une colline.
Ces images incroyables ont marqué les esprits lors de la sortie du film en 1982 (Prix de la mise en scène 1982 au Festival de Cannes), on vous explique comment le réalisateur Werner Herzog s’y est pris pour devenir « le conquérant de l’inutile ».
En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Cette fois, on vous raconte donc comment le réalisateur Werner Herzog a fait grimper un bateau sur une colline.
_Par Julien Dupuy
Herzog, l’intransigeant
Nous sommes sur le tournage de The Mandalorian. Alors qu’il interprète le mystérieux et terrifiant personnage du « client », le réalisateur phare du Nouveau Cinéma allemand, Werner Herzog, s’énerve : l’équipe de la série Disney + tourne à deux reprises un plan truqué, pour s’assurer qu’ils pourront manipuler l’image en postproduction, en cas de besoin. Mais cette précaution exaspère Herzog : il hurle sur les deux réalisateurs de la série, Jon Favreau et Dave Filoni, les taxe de lâches et clame que leur prudence est la preuve de leur manque d’intégrité artistique.
Il faut dire qu’en termes de courage et de prises de risques, peu de cinéastes sont allés aussi loin qu’Herzog qui, avec Fitzcarraldo en 1982, mit en branle l’un des tournages les plus fous, les plus épiques et les plus dangereux jamais entrepris.
Des cordes et du bois
Fitzcarraldo raconte l’obsession de Brian Sweeney Fitzgerald : implanter son propre opéra au milieu de la jungle. Son rêve le conduit à mener une folle expédition sur l’Amazone pour finir par tenter l’impossible : hisser son bateau au sommet d’une colline !
Cette péripétie qui s’impose comme le morceau de bravoure de l’intrigue, est l’une des raisons principales de l’investissement démesuré d’Herzog dans ce projet qu’il va porter à bout de bras durant plusieurs années. Car le réalisateur tient à accomplir réellement cet exploit, comparant sa folle ambition à celle des architectes du temps passé, qui parvinrent à dresser de monumentales structures rocheuses à l’aide de cordes et de rondins de bois.
Et si le tournage de Fitzcarraldo va devoir survivre à plusieurs accidents, une guerre, un crash d’avion, des intempéries exceptionnelles et la violence de son comédien principal, Klaus Kinski, c’est bien cette scène folle qui va faire rentrer le film et son réalisateur dans la légende.
700 hommes, 2 bateaux
En vérité, Herzog n’utilise pas un, mais deux bateaux pour ses prises de vues. Ces bâtiments, qui engloutissent une bonne partie du budget, pèsent aux alentours de 320 tonnes. Autant dire que le tournage de la scène s’annonce périlleux.
Avant de hisser le bateau au sommet d’un mont de la forêt amazonienne, il faut préparer le terrain, à l’aide d’un bulldozer qui nivelle la zone, déracine des centaines d’arbres et adoucit la pente trop forte de la colline. Mais elle est si marquée que, parvenu au sommet, le véhicule ne peut plus circuler sans risquer de se retourner. Une partie du nivellement est donc terminée à la pelle, par des dizaines d’ouvriers débauchés sur place.
La traction du bateau sur la colline s’effectue ensuite selon un système finalement très proche de celui dépeint dans le film : Herzog emploie un treuil, avec un rapport de transmission très performant. Et, si l’on en croit le réalisateur, les 700 figurants employés par la production peuvent hisser, sans grande difficulté, le navire. La réalité est moins simple : plusieurs employés craignent pour leur vie en découvrant la machinerie et quittent le plateau. Quand la traction du bateau commence, quelques jours plus tard, le poids du bâtiment entraîne quantité de soucis : le navire s’enfonce dans le sol de plus en plus meuble et, surtout, sa structure, absolument pas adaptée à cette action, finit par céder. En pleine prise, une énorme pièce en acier se brise en deux, retardant un peu plus le tournage.
La pugnacité d’Herzog finira par payer et, après quantité d’ajustements, le bateau chevauche enfin la montagne.
Perdu dans la jungle
Une fois rescapé de ces prises de vues homériques, Herzog se couronne lui-même « Conquérant de l’inutile » au regard de la vacuité des exploits accomplis. Pourtant, le propos même de son film est porté par la difficulté du tournage. Car au final, il semble évident que Werner Herzog est Fitzcarraldo, ce petit être blanc, isolé au milieu d’une nature indomptable et qui, contre vents et marées, ira au bout de son obsession.
À ce titre, la conception de Fitzcarraldo rappelle celle d’autres tournages épiques, dont les aléas nourrissent le voyage obsessionnel de leurs héros : Aguirre, la colère de Dieu du même Herzog, mais aussi Sorcerer de William Friedkin ou encore Apocalypse Now. Quelques années avant qu’Herzog ne fasse grimper un bateau au-dessus d’une montagne, le film de Francis Ford Coppola s’était lui aussi perdu plus ou moins sciemment dans la jungle, pour raconter, à travers l’enlisement de sa production, l’échec de l’armée américaine dans le conflit vietnamien.
Tricheur et aventurier
Pour Herzog, ce projet démesuré a une autre vertu : celle de conférer une authenticité maximale à ses images. « Aujourd’hui, quand on voit un film, il y a la plupart du temps des effets spéciaux numériques sur les plans, déclare-t-il en 2005. Or, moi je voulais donner au public la possibilité de croire de nouveau en ce qu’il voyait. »
Pourtant, très ironiquement, Werner Herzog n’a cessé de tricher sur son film : de par ses choix de mise en scène tout d’abord qui, bien qu’hérités de sa carrière de documentariste, cherchent à conférer un maximum de poids à cette prouesse et à accentuer la sensation de danger.
Mais Herzog fait aussi appel aux effets spéciaux lors du grand final de son film. Lorsque le navire descend un rapide, le cinéaste emploie un bateau miniature sur une dizaine de plans. Une astuce gardée secrète (aucun maquettiste n’a jamais été crédité au générique), mais confirmée par quelques rares photos des coulisses du film. Cette entorse aux principes de mise en scène d’Herzog, n’enlève rien à la valeur de son projet : car si le cinéma est fondamentalement l’art de la tricherie, c’est aussi le rôle du metteur en scène de créer un contexte de tournage propice à l’épanouissement de son film. C’est à ce prix, qu’il pourra conférer une vérité vibrante à son œuvre.
Et dans le cas de Fitzcarraldo, on ne peut qu’admirer le courage bravache d’Herzog, qui reste définitivement l’un des plus grands cinéastes aventuriers.
POUR ALLER PLUS LOIN
Un extrait de Burden of Dreams, documentaire sur le tournage fou de Fitzcarraldo, dédié au passage du bateau au-dessus du mont. On y voit les conditions de travail plus que précaires de l’équipe locale.
Le réalisateur Werner Herzog, dans l’une de ses très rares apparitions dans un talk-show américain, et pas des moindres puisqu’il s’agit de celui de David Letterman. Il y assure la promotion de Fitzcarraldo, à l’époque de la sortie américaine du film (en VO non sous-titrée).
La chronique Tout en images de l’émission Blow Up d’Arte dédié à l’œuvre de Werner Herzog.
Le vidéaste François Theurel, également connu sous le pseudonyme Le Fossoyeur de Films, a consacré un long épisode passionné à Fitzcarraldo.
En 2014, Werner Herzog donne une conférence de presque deux heures à l’Université de Strasbourg.
Dans son émission Plan Large sur France Culture, Antoine Guillot a consacré un épisode à deux « tournages catastrophes », celui de Sorcerer de Friedkin et Fitzcarraldo d’Herzog.
Le réalisateur Clément Cogitore donne son ressenti sur Fitzcarraldo.
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