ÉPISODE 5 – Le couloir qui roule sur lui-même dans Inception
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La scène : Dans l’une des strates du rêve d’un riche hériter, l’extracteur Arthur affronte des hommes armés dans un long couloir d’hôtel, où la gravité est chamboulée en permanence.
En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un nouveau métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Aujourd'hui, on vous présente le travail de Chris Corbould, superviseur des trucages physiques sur Inception.
Cette scène emblématique du thriller délicieusement tortueux de Christopher Nolan, ce combat en gravité zéro est l’héritier d’une longue tradition de trucages, dont les origines remontent à l’aube du cinéma. Petit retour en arrière…
_Par Julien Dupuy
Une mouche au plafond
Quand on parle de trucages au cinéma, il est quasi impossible d’échapper à l’ombre tutélaire de Georges Méliès (1861-1938). Durant sa carrière foisonnante, le prestidigitateur français a, depuis son studio vitré de Montreuil, mis en place les grands principes de la quasi-totalité des trucages et effets optiques utilisés pour le grand écran, jusqu’à l’avènement du numérique.
C’est le cas de l’effet spécial dit de « gravité zéro », qu’il invente dans son « film à truc » L’Homme-Mouche. On y voit un énergumène insectoïde danser sur le sol, puis gigoter sur un mur. L’astuce, comme dans tous les bons trucages, est simplissime : Méliès avait accroché sa caméra aux cintres de son studio, l’objectif pointé directement vers le sol, sur lequel était peint un mur en trompe-l’œil.
Ce trucage fera des émules pendant les décennies suivantes, notamment avec un film qui va perfectionner le trucage primitif de Méliès : dans Mariage Royal (1951), le réalisateur Stanley Donen parvient à faire danser sa star, Fred Astaire, sur les murs et sur le plafond, en construisant un décor dans une grande cage d’acier circulaire, capable de pivoter à 360°. En fixant la caméra au sol du décor, et en harnachant son chef opérateur, Donen donne la sensation qu’Astaire peut, littéralement, grimper aux rideaux !
Quelques années plus tard, c’est au tour de Stanley Kubrick de pousser ce principe encore plus loin, avec les scènes en apesanteur de 2001, L’Odyssée de l’espace qui mettent en place des décors d’une complexité ahurissante.
Dans les années 1980, le cinéma d’horreur va à son tour s’emparer de ce truc, avec Poltergeist, Les Griffes de la nuit et enfin La Mouche de David Cronenberg, hommage involontaire au « film à truc » originel de Méliès.
Son nom est Corbould, Chris Corbould
C’est avec toutes ces scènes en tête, et en particulier 2001, L’Odyssée de l’espace, que Christopher Nolan imagine la séquence du « couloir » dans Inception, en y ajoutant deux composantes qui vont complexifier la tâche de son équipe. En premier, un violent mano a mano qui aura lieu dans ce décor tourbillonnant. Et ensuite, ce combat sera d’une longueur exceptionnelle.
Dans le scénario, le couloir fait un peu plus de 10 mètres. Mais en préproduction, Nolan opte pour un décor de 18 mètres, pour finalement s’arrêter sur la taille, hautement déraisonnable, de 30 mètres !
Si le décor est conçu par le directeur artistique Guy Hendrix Dyas, c’est Chris Corbould qui construit l’imposante structure qui va lui permettre d’accomplir ses folles pirouettes. Au Royaume-Uni, Corbould est une légende des effets spéciaux physiques, un poste chargé de tous les trucages conçus en direct sur le plateau, depuis les intempéries jusqu’à la simulation de catastrophes naturelles.
Sous l’égide de son oncle, Colin Shilvers, Corbould travaille depuis le milieu des années 1970 sur certaines des plus grosses productions anglaises, comme Superman de Richard Donner ou la saga James Bond, dont il devient le coordinateur des effets spéciaux attitré dès la fin des années 1980, avec Permis de tuer.
Autant dire qu’il est l’homme de la situation pour Nolan qui, avec Inception, ambitionne de concevoir sa propre version des aventures de 007.
Le seigneur des anneaux
L’infernale machine de Corbould voit le jour dans les gigantesques studios de Bedford, d’anciens hangars destinés à l’aviation, reconvertis en plateaux de cinéma. Quelques années plus tôt, Corbould et Nolan y avaient déjà filmé le grand final de Batman Begins.
La structure externe qui va permettre au couloir de tourner est constituée de 7 anneaux en aciers d’un rayon de 9 mètres, placés tous les 5 mètres. Chaque anneau est mu par deux moteurs électriques de 55 chevaux, eux-mêmes pilotés par un logiciel qui contrôle la vitesse et la rapidité des révolutions.
La précision des mouvements, et leur régularité, sont d’une importance capitale : un léger décalage sur l’un des 14 moteurs aurait des conséquences dramatiques sur la sécurité des comédiens, et sur la structure du décor. La scène est filmée à l’aide de deux caméras. L’une, fixée solidement au sol du couloir, est pilotée à distance. La seconde est placée dans un anneau gyroscopique, lui-même fixé au bout d’un grand bras de grue, pour évoluer dans le décor à sa guise, tout en tournant à 360°.
Le facteur humain
Si cette impressionnante centrifugeuse est la base de l’illusion, celui qui parfait l’effet spécial est l’acteur au cœur de cette scène : Joseph Gordon Lewitt. Car évoluer dans un tel décor est un défi : les chutes sont fréquentes et les contradictions entre les informations perçues par l’oreille interne et la vue provoquent de sévères nausées.
Durant sa préparation (dont deux semaines passées sur le décor), Lewitt interroge des pilotes américains ayant déjà expérimentés l’effet de la gravité zéro. Il apprend alors qu’en situation d’apesanteur tous les muscles du corps sont parfaitement détendus. Mais pour se déplacer avec la souplesse et la rapidité requises dans Inception, Lewitt doit à l’inverse crisper la quasi-totalité de ses muscles, pour s’adapter en permanence aux changements du décor.
Au final, comme Méliès et Fred Astaire avant lui, Lewitt sera parvenu, par la précision de ses déplacements et une gestion de son corps exceptionnelle, à nous faire croire à l’impossible.
Pour aller plus loin
Le film de Georges Méliès L’Homme-Mouche, premier à inaugurer l’effet spécial dit de la « gravité zéro »
Fred Astaire danse sur les murs, dans Mariage Royal de Stanley Donen.
Une featurette consacrée à la séquence du « couloir » dans Inception (en anglais non sous-titré).
Chris Corbould est intervenu dans le podcast du célèbre directeur de la photographie Roger Deakins, avec qui il a travaillé sur Skyfall (en anglais non sous-titré).
Découvrir le podcast ici.
Enfin, un vidéaste a remis la scène du « couloir » dans le sens de gravité originel ! Une bonne façon de mesurer l’exploit accompli par Joseph Gordon Lewitt.
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