ÉPISODE 6 – Les couleurs du Fabuleux destin d’Amélie Poulain
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La scène : En retrouvant une boîte à souvenirs laissée, à son insu, dans une cabine téléphonique par Amélie, Bretaudeau se souvient du jour tragique où, écolier, il remplit les poches de sa blouse de billes.
En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Cette fois, on vous présente le travail de Didier Le Fouest – étalonneur numérique sur Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.
Film unique porté par une ambition esthétique sans précédent, Le Fabuleux Destin d’Amélie (2001) fut une première dans l’histoire technologique du cinéma. L’étalonneur du film, Didier Le Fouest, nous raconte dans cet entretien comment il est devenu l’acteur de ce chamboulement qui fait encore école aujourd’hui. Rencontre.
_Par Julien Dupuy
Au service du beau
Didier Le Fouest : « Mon travail ressemble un peu à ce que vous pouvez faire sur vos propres photos : vous voulez parfois les rendre plus sombres, plus bleues, plus rouges ou accentuer la lumière sur un visage. Les étalonneurs, que l’on appelle parfois coloristes, font la même chose, mais sur des images en mouvement.
Donc il faut que notre travail tienne sur la totalité d’un film. Et grâce au numérique, je peux faire énormément de choses sur l’image : je peux, par exemple, créer des masques en mouvement pour modifier un seul élément de l’image.
Bref, en gros, mon job, c’est de récupérer des images et de les rendre encore plus belles. C’est quand même magnifique comme boulot, non ? »
Premières fois
« J’ai toujours travaillé en numérique, avec ce que l’on appelait le télécinéma : l’image filmée était directement en vidéo, ou bien numérisée avant d’être retravaillée. J’ai d’abord commencé par des publicités puis des clips.
Au début des années 2000, cela faisait déjà dix ans que je travaillais sur toutes les publicités que Jean-Pierre Jeunet réalisait entre deux films. Par contre, à l’époque, l’étalonnage pour les films se faisait encore en laboratoire photochimique : il s’agissait du même travail, mais avec très peu de latitude.
Or, sur Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, les outils étaient à peu près en place pour que l’on puisse étalonner un film cinéma en numérique. Le film étant tourné en pellicule 35 mm, il fallait scanner la pellicule, retravailler sur l’image avec nos outils numériques, puis transférer le résultat sur pellicule.
Nous n’étions que les troisièmes à étalonner avec cette méthode. Les frères Coen avaient déjà essuyé les plâtres sur O’Brother : ils y avaient passé des mois et il y avait encore quelques soucis. C’était donc extrêmement expérimental. Et en prime, c’était mon premier long-métrage. »
5 kilos de stress
« Quand Jean-Pierre m’a invité à travailler sur ce film, sa référence était le film Evita d’Alan Parker, dont la photo était signée Darius Khondji : il voulait une image monochrome et chaude avec, en plus, des petites taches de couleurs très vives.
En fonction de ce choix, le directeur de la photographie, Bruno Delbonel, a choisi sa pellicule, la chef décoratrice et la costumière ont défini leur palette de couleurs. Jean-Pierre me demandait mon avis sur tous ces travaux, et je suis allé sur chaque décor pour m’assurer que tout allait bien se passer. Si je n’avais pas été autant impliqué, ça aurait été un carnage.
Ensuite, pendant le tournage, j’étalonnais les rushes pour m’assurer que nous allions dans la bonne direction. Mais quand j’ai commencé à travailler sur le montage terminé, Jean-Pierre a changé ses objectifs : il voulait pousser les couleurs, faire ressortir des verts par exemple. Il a fallu donc que je reparte de zéro, et c’est à partir de là que j’ai perdu cinq kilos en cinq semaines !
Je me suis même engueulé avec Jean-Pierre qui ne se rendait pas compte de la pression qu’il me mettait sur les épaules. Tout a été dur sur Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Chaque plan a été une épreuve. J’ai mis parfois quinze jours à trouver la bonne image et j’ai souvent douté qu’on parvienne à sortir le film à temps. »
Briser les règles
« On nous disait parfois que ça ne se faisait pas ce genre d’images, que l’on brisait trop de règles, que nous allions trop loin. Mais Jean-Pierre s’en moquait : il préférait que j’aille trop loin, quitte à me remettre dans le droit chemin ensuite.
Ce fut le cas avec le flash-back de Bretaudeau. J’avais fait une première proposition et Jean-Pierre m’a dit : « C’est super beau. Maintenant Didier, regarde la scène mais avec les dialogues. » J’ai alors immédiatement compris que ce que j’avais fait ne collait pas du tout à l’émotion de la scène, qu’il fallait que j’aille dans une image plus discrète.
Mon rôle a aussi un impact sur les émotions transmises aux spectateurs. Par exemple, un polar a souvent des teintes bleutées glaciales, alors qu’une comédie romantique ira dans des teintes très chaudes. Et ce qui est beau dans un film, c’est soit les ruptures d’ambiance assumées, soit la fluidité de l’image.
Or, dans la séquence de Bretaudeau, je ne pouvais pas faire un vrai noir et blanc, le contraste aurait été trop fort : j’ai donc légèrement teinté l’image, de façon très subtile, pour que le film puisse continuer de couler naturellement. »
Vingt ans plus tard
« Ce film a changé ma carrière. J’ai eu très peu d’expérience comme ça, je pourrais citer aussi The Fall de Tarsem Singh ou 2046 de Wong Kar-wai. Vingt ans après sa sortie, j’ai encore régulièrement des retours sur Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. C’est un film qui fait référence et, dans mon milieu, il a eu l’effet d’une bombe, même si quand je le revois, je me dis que nous aurions pu être un peu plus subtils.
Il a fallu que je fasse appel à tout ce que j’avais appris pour obtenir le résultat recherché et ça reste le projet le plus énorme de toute ma carrière. Il supplante même Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, alors que j’avais passé huit semaines à étalonner ce film, contre cinq sur Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.
Tout est bien plus simple aujourd’hui et d’ailleurs, on n’a souvent que deux semaines pour faire un long-métrage ! Et puis à l’époque, nous n’avions pas peur de nous démarquer, de faire des choses un peu folles : avec Jean-Pierre on n’est pas très loin de la bande dessinée, l’image est très marquée, pas du tout réaliste. Et ça, j’adore ! Je m’amuse dans mon métier. Le jour où je ne m’amuserai plus, je m’arrêterai. »
Un grand merci à M. Le Fouest pour son temps et sa disponibilité.
Pour aller plus loin
Le site officiel de Didier Le Fouest, avec, notamment, son impressionnante bande démo.
Didier poste aussi ses splendides photos sur son compte Instagram.
La page consacrée au Fabuleux Destin d’Amélie Poulain sur l’excellent site officiel de Jean-Pierre Jeunet. Vous y trouverez des story-boards et un making of de 12 minutes du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.
Le formidable court-métrage Deux Escargots s’en vont, coréalisé par Jean-Pierre Jeunet et étalonné par Didier Le Fouest.
David Lynch vous parle de l’étalonnage photochimique de Sailor & Lula, et des problématiques du transfert en DVD (en anglais non sous-titré).
Le site Colors of Cinema étudie les couleurs utilisées dans un film.
Et la page Twitter Color in Movies fait de même, mais plan par plan (et regardez qui figure dans l’avatar !)
Enfin, sachez que Jean-Pierre Jeunet excelle dans l’exercice du commentaire audio. Et celui du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ne faillit pas à la règle. On vous recommande donc chaudement son écoute (disponible sur le Blu-ray ou le DVD).
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