ÉPISODE 7 – Inventer le vaisseau spatial de « 2001, l’Odyssée de l’espace »
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En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. Pour cet épisode, on vous présente le travail de Harry Lange – artiste conceptuel sur 2001, l’Odyssée de l’espace.
Chef-d’œuvre visionnaire, 2001, l’Odyssée de l’espace aura, comme peu de films, révélé l’importance cruciale d’un métier méconnu du cinéma de l’imaginaire : l’artiste conceptuel.
_Par Julien Dupuy
Entre la page et l’écran
Parce qu’il est un art avant tout visuel, le cinéma ne peut se comprendre et se créer par le seul verbe. Un outil est donc venu très rapidement pallier les manquements des synopsis, scripts et autres scénarios : le dessin conceptuel.
Sous la forme de croquis ou de peintures, ils offrent une représentation des objets, des personnages ou d’une scène entière bien en amont du tournage et permettent de concrétiser la vision d’un cinéaste, pour diriger tous les départements dans la même direction.
Quand les réalisateurs ambitionnent de créer des univers entiers, le poste d’artiste conceptuel devient d’une importance telle, que son style imprime la totalité du métrage : nul doute que King Kong n’aurait pas la même saveur sans les dessins de Byron Crabbe, que les peintures à l’huile d’Arnold Friberg ont fait énormément pour les compositions très picturales des Dix Commandements, que l’artiste Ralph McQuarrie est l’une des clés de la réussite de La Guerre des Étoiles, ou encore que sans Harry Lange, 2001, l’Odyssée de l’espace n’aurait pas aussi aisément traversé les époques.
Voir l’avenir
« J’étais littéralement la première et la dernière personne à avoir travaillé sur ce film avec Stanley Kubrick. » Ainsi parle Hans-Kurt Lange, un Allemand qui, après avoir échappé de peu aux bombardements des Alliés, parvint à fuir l’Allemagne de l’Est naissante, pour rejoindre les États-Unis. Grâce à ses talents de peintre et ses connaissances dans la science et l’aéronautique, il est coopté par des compatriotes exilés pour rejoindre l’Army Ballistic Agency de Wernher von Braun qui, quelques années plus tard, deviendra la Nasa.
En 1958, Lange est à la tête de la Future Projects Division, un département dévolu à la prospection scientifique. Mais lorsque la Guerre du Viêt Nam éclate, il voit son budget réduire comme peau de chagrin et part fonder sa propre société, General Astronautics Research Agency.
Son parcours est donc exemplaire, mais il y a un « hic » : Lange n’a aucune connaissance en matière de cinéma quand Kubrick l’embauche, sur les conseils de son coscénariste, le romancier Arthur C. Clarke. C’est pourtant bien ce manque qui lui vaut les faveurs de Kubrick.
Un autre futur
En effet, Kubrick a deux objectifs en terme de direction artistique sur 2001, l’Odyssée de l’espace. Le premier, c’est d’être aussi crédible et réaliste que possible. Le second, c’est de rompre radicalement avec tout ce que le cinéma a proposé en terme de film d’anticipation, avec ces navettes spatiales aux silhouettes aérodynamiques et au carénage brillant.
Lange est totalement en mesure de répondre à ce double objectif : il sait tout, ou presque, des derniers progrès en matière d’aérospatial et il est un néophyte complet en matière de science-fiction. Il commence donc à plancher sur le film dans les bureaux newyorkais de Kubrick, plusieurs années avant le premier jour de tournage, car la masse de travail s’annonce monumentale.
Tout doit être créé dans 2001, l’Odyssée de l’espace, depuis les stations orbitales jusqu’aux fourchettes dont se servent les personnages. Et Lange doit avoir une justification scientifique crédible dans chaque choix de design. Par exemple, il imagine que les costumes des astronautes sont émaillés de coutures latérales, pour leur éviter de gonfler quand y circule l’oxygène. Il place également à l’arrière des casques de petites plaques noires, censées représenter des mémoires informatiques contenant toutes les informations nécessaires à la sortie de l’astronaute.
Lange conçoit également une partie de l’ordinateur Hal, qu’il imagine initialement trop petit : Kubrick redoute que le public des années 1960 rejette l’idée qu’un ordinateur aussi petit qu’une armoire soit réellement puissant. L’exactitude scientifique a donc des limites, même sur 2001, L’Odyssée de l’espace.
Flatulences spatiales
La pièce maîtresse de Lange reste certainement ce vaisseau Discovery qui apparaît dans le troisième acte. Autre temps, autres mœurs : toute l’équipe est alors persuadée que les fusées du futur seront propulsées par des explosions nucléaires. En partant de cette idée, Lange propose nombre de concepts : si la section réservée à l’équipage est toujours située à l’avant dans un grand habitacle sphérique, il imagine que le vaisseau est constitué de multiples sections censées absorber le choc. Ou encore que l’ensemble déploie de grands panneaux pour évacuer la chaleur émise par les explosions.
L’équipe finit par s’accorder sur une silhouette plus épurée, avec les moteurs séparés de l’habitacle par une série de réservoirs contenant le carburant. Quant au système de propulsion, on s’abstient finalement de le montrer à l’image, puisque le Discovery devait produire une explosion toutes les cinq secondes. Au fil de leur discussion, l’équipe du département artistique comprend que le concept pourrait prêter à sourire : ils craignent en effet que le public pense que le vaisseau progresse en lâchant une série de pets !
Le film d’une vie
2001, l’Odyssée de l’espace chamboule la vie de toutes les personnes qui ont été impliquées dans ce tournage unique. Et Harry Lange n’échappe pas à ce grand chambardement. Alors que, quelques années plus tôt, il rechignait à se déplacer à New York pour poser les bases du design du film, il s’installera définitivement avec sa famille en Angleterre au terme du tournage.
Et s’il était un novice en matière de cinéma avant 2001, L’Odyssée de l’espace, il consacrera dès lors une bonne partie de son temps au grand écran : on retrouve son nom aux génériques de Moonraker, de Superman II et de L’Empire contre-attaque.
Dans un entretien accordé, coïncidence amusante, en 2001, sept ans avant son décès, Harry Lange continuera de se montrer très fier de son travail sur le film de Kubrick : « Je crois qu’encore aujourd’hui, la très large majorité de la technologie que nous avions imaginé pour ce film reste pertinente. »
Pour aller plus loin
Du Space Oddity de Bowie jusqu'au récent Ready Player One de Spielberg, le cinéma de Stanley Kubrick n'a cessé d’influencer les réalisateurs et les artistes.
Vingt-trois ans après sa mort, ses films sont à (re)découvrir à la Cinémathèque française, du 4 au 29 mai 2022.
Rétrospective Stanley Kubrick - La Cinémathèque française (cinematheque.fr)
Si l’on retrouve son travail dans la plupart des livres consacrés à 2001, L’Odyssée de l’espace (celui édité par Taschen est indispensable), un ouvrage entier a été dédié aux travaux d’Harry Lange sur le film de Kubrick. En voici la bande-annonce :
https://vimeo.com/373380662
Si vous voulez voir quelques images de ce livre et donc du travail de Lange, rendez-vous sur cette page :
http://www.fictiontofact.com/scifi/concept-art/harry-langes-designs-for-kubricks-2001-a-space-odyssey/
Vous pouvez entendre des extraits de l’interview que Lange a consacré à Christopher Frayling ici (en anglais non sous-titré) :
La chaine YouTube Illustrated Arts compile des peintures conceptuelles. Une vidéo est évidemment consacrée à Harry Lange et 2001, l’Odyssée de l’espace :
Un projet de réalité virtuelle pour nous faire visiter le Discovery comme si on y était !
Le vidéaste Nick Stevens a modélisé un des concepts non utilisé d’Harry Lange pour la station orbitale.
Et un autre modeleur a fait de même avec l’un des premiers concepts du Discovery.
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