À la recherche des nains perdus
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Le chaudron était plein mais le feu n’a pas pris. Voici comment, adoubé par Peter Jackson, Guillermo del Toro n’a finalement pas réalisé le Hobbit. Voici comment tout un imaginaire peut se retrouver dissout en plein vol.
Par Felix Mills
Qui d’autre que Peter Jackson aurait pu mettre en boîte la trilogie du Hobbit dans l’univers du Seigneur des anneaux ? Ce dernier avait pourtant initialement fait appel à son ami Guillermo del Toro pour réaliser un Hobbit en deux parties, en 2011 et 2012, qui allait porter la marque du cinéaste mexicain habité de visions puissantes. Et qui fut surtout victime des déboires de la MGM.
Retour sur une quête qui a duré 18 mois et dont on ne connaîtra jamais l’issue
Un réalisateur très attendu
En avril 2008, Peter Jackson annonçait que Le Hobbit serait réalisé par Guillermo del Toro. Auréolé du succès public et critique du Labyrinthe de Pan en 2006, le Mexicain s’apprête à sortir Hellboy 2 : Les Légions d’or maudites.
Tout comme Jackson, il s’agit d’un réalisateur de films de genre, nourri aux monstres et au cinéma gore. Les deux hommes se rencontrent autour de l’adaptation du jeu vidéo Halo et, quand elle capote, Jackson propose à GDT de faire Le Hobbit – une fois que son conflit avec New Line autour des bénéfices du Seigneur serait réglé.
C’est chose faite en août 2007 et, en décembre de la même année, Peter Jackson place Guillermo del Toro aux commandes du projet. Si le cinéaste mexicain apprécie peu le roman du Seigneur des anneaux dont il trouve le monde trop complexe, il est un grand fan de Bilbo le Hobbit. En août 2008, la préproduction du Hobbit démarre officiellement. Le plan d’origine : raconter tout le roman en un film, puis en tourner un deuxième qui fera le lien avec Le Seigneur Des Anneaux.
Un film de guerre
Del Toro a déjà entamé ses travaux préparatoires et dessine sa vision du Hobbit dans ses fameux carnets. Il se focalise sur la Première Guerre mondiale, à la fois visuellement et thématiquement : « Lire des livres et regarder des documentaires sur la Première Guerre mondiale nourrit assez étrangement la vision que l’on peut avoir du Hobbit », racontait-il à l’époque au New Yorker. « Car je crois qu’il s’agit d’un livre né de l’expérience que la génération de Tolkien a subie pendant la Grande guerre : se trouver dans ce conflit et voir toutes vos valeurs s’effondrer. » Une période dont est également fan Peter Jackson (il a réalisé en 2008 Crossing The Line, un court métrage épique dans les tranchées) qui collectionne tout sur cette époque (maquettes, costumes) et conseille à del Toro livres et films à ce propos. GDT prend également contact avec toute la communauté créative de la première trilogie.
Le compositeur Howard Shore, les dessinateurs John Howe et Alan Lee, les magiciens de Weta Workshop Richard Taylor (weapon designer) et Gino Acevedo (prothésiste)… « Je fais ça pour assurer la continuité avec les précédents films », expliquait del Toro au site The One Ring. Continuité, certes, mais le réalisateur semblait vouloir établir une différence sensible avec les films de Jackson. « Le monde est ici plus doré au commencement, plus innocent… Dès le départ, on doit réaliser que l’époque est différente du début de La Communauté de l’anneau. 50 ans dans la Comté, ce ne sont pas 50 années humaines. Pensez à comment notre monde peut changer en 7 ou 8 ans. Ces 50 ans en Terre du Milieu signifient en fait des décennies d’agitation. »
Bref, il fallait s’attendre à ne pas retrouver totalement le look du Seigneur de 2001… « On se retrouve sur Le Hobbit, Pete ! », aurait plaisanté Hugo Weaving (Elrond) à son dernier jour de tournage du Seigneur des anneaux. « On ne fera pas Le Hobbit », lui aurait répondu PJ. La question du casting est bien évidemment évoquée dès le départ. Andy Serkis, Ian McKellen et Weaving sont les premiers à rencontrer GDT pour reprendre leurs rôles mais, quant au reste, tout est possible, aucun engagement contractuel ne liant les acteurs de la première trilogie pour reprendre leurs rôles dans Le Hobbit, lequel se déroulant de toute façon soixante ans avant, ne fera revenir que peu de personnages du Seigneur.
Quoi de neuf Docteur (Who) ?
Une seule chose est certaine : le casting de Sylvester McCoy, qui joue le Magicien Radagast. McCoy – surtout connu chez les Anglo-Saxons pour son rôle du Docteur dans la série de SF british Doctor Who de 1987 à 1989 – avait auditionné sans succès en 2000 pour le rôle de Bilbo, finalement tenu par Ian Holm. En 2007, il est en tournée théâtrale avec la Royal Shakespeare Company dans une mise en scène du Roi Lear dont le rôle principal est tenu par un certain Ian McKellen.
Peter Jackson et ses scénaristes Fran Walsh et Philippa Boyens se souviennent alors de lui et lui proposent de passer un casting pour jouer Radagast, un rôle alors encore flou étant donné que le personnage n’est évoqué que pendant quelques lignes dans Bilbo le Hobbit. « Ce n’est qu’en voyant mon screen test que Guillermo del Toro a accepté la présence du personnage. Ils n’ont auditionné personne d’autre. » La présence de McCoy dans le film terminé est donc autant à créditer à del Toro qu’à Jackson. Le cinéaste mexicain est surtout connu pour son génie du character design, des effets spéciaux et son sens des personnages monstrueusement poétiques et évocateurs. Ses araignées géantes, ses gobelins et son dragon constituent un monster manual tout trouvé. « Je vais surtout rajouter des créatures par rapport aux trois premiers films. Des créatures 100 % animatroniques (robots télécommandés recouverts de latex pour ressembler à de vraies créatures et/ou humains pour être filmés en live) et d’autres en animatroniques améliorées par des effets spéciaux numériques », expliquait del Toro à The One Ring.
Ceux qui ont vu le Faune du Labyrinthe de Pan ou le bestiaire fabuleux des deux Hellboy peuvent avoir une idée du résultat, surtout que del Toro cite parmi ses modèles Jérôme Bosch, Salvador Dalí et René Magritte. « On veut vraiment prendre la crème de la crème en matière d’animatronique. Avec la technologie qu’on va développer pour les créatures du film, on va faire faire à la discipline un saut de dix ans dans le futur. Comme les premiers films ont fait avancer le concept de réalité virtuelle. »
La fatwa du dragon
Beaucoup d’ambition donc, et c’est le design du dragon Smaug, l’adversaire monumental du film, qui tient très à cœur à del Toro : « Je suis sûr que ce sera le dernier design à être validé, car c’est le premier sur lequel nous avons bossé », racontait-il en octobre 2008. « Il représente tellement de choses… L’avarice, la vanité… On va devoir tout explorer avant de savoir à quoi il ressemble, car son look devra montrer ce qu’il est vraiment. » Mais aucun croquis ni maquette de GDT n’a filtré sur le Web. Pourtant, en janvier 2011, c’est le drame. Interviewé par Daniel Zalewski du New Yorker, del Toro revient sur Le Hobbit inachevé et lui montre ses idées de character design de Smaug.
La silhouette générale, « inhabituellement longue et fine » est celle d’une « hache à deux mains médiévale », d’après le journaliste. « Il devait ressembler à un serpent » et se déplacer « comme un oiseau marin », avec des ailes qui sont des extensions de ses pattes de devant, d’ailleurs très courtes, « comme celles d’un T. Rex », observe Zalewski. Cela suffit à déclencher une polémique parmi les fans de Tolkien, qui ne retiennent que les mots « T. Rex » et « serpent », hurlent à la trahison et prient pour que Peter Jackson ne garde pas les idées de del Toro qu’ils vouent immédiatement aux gémonies. Et cela alors qu’aucun dessin de Smaug n’a été publié…
La faillite de la MGM
Mais tout ce boulot ne sert à rien.
Pendant que del Toro dessine et sculpte, la situation de la MGM, qui détient une partie des droits du Hobbit, empire. Depuis mi-2009, le studio au lion rugissant connaît de très graves problèmes financiers qui mettent en suspens tous ses gros projets, notamment le 23e épisode de James Bond (qui deviendra Skyfall) et surtout Le Hobbit, chiffrés à 150 millions pièce…
En décembre 2009, la MGM se met officiellement en vente, et Hollywood s’arrache sa dépouille. Habitué aux difficultés, del Toro est aussi impatient et aime aller vite, d’autant que la date de sortie du premier film est prévue pour décembre 2011 et que rien n’est tourné. « On a désigné les créatures, on a imaginé les costumes, on a fait des animatroniques, planifié les séquences d’action. Nous sommes très très bien préparés, mais tant que la situation de la MGM n’est pas réglée, on ne peut pas avancer ! » Début juin 2010, c’est le coup de grâce : « Vu les reports constants du début de tournage, je me retire du projet. Mais je reste un allié du film et de ses producteurs », dixit Guillermo. Le 15 octobre 2010, alors qu’il est en pleine production des Aventures de Tintin de Spielberg, Jackson annonce officiellement qu’il réalisera Le Hobbit. Telle est la fin du Hobbit version del Toro. Ars gratia artis.
À l’arrivée, que reste-t-il de del Toro dans Le Hobbit de Peter Jackson ? « J’ai regardé son travail en reprenant le projet, et ses designs sont du pur Guillermo. C’était des trucs très marqués, bien dans la lignée du Labyrinthe de Pan et de Hellboy. C’était sa vision artistique, et je ne pouvais pas faire ce film précis. Le seul à pouvoir faire un film à la Guillermo del Toro, c’est Guillermo », a admis Peter Jackson au site io9 en août 2012. « J’ai donc presque tout redesigné. Il reste quand même un peu de son ADN, il a fait des choses plutôt cool dont on a repris des éléments, mais on les a vraiment changées. Le film a vraiment été repensé. » Quelles « choses » ? On n’en saura pas plus pour l’instant.
De fait, le nom de Guillermo del Toro est crédité au générique comme coscénariste au même titre que Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens, mais pas en tant que production designer ni qu’aucun autre job artistique. Le personnage de McCoy, Radagast, shaman à moitié fou qui vit dans la forêt et préfère la compagnie des animaux à celle des hommes, est assez guillermesque dans l’esprit. L’arc narratif sur un Nécromancien maléfique, qui fait le lien avec l’intrigue du Seigneur des anneaux, reflète peut-être le script de l’hypothétique deuxième volet du Hobbit.
Enfin, l’esprit guerrier que del Toro voulait insuffler au film se retrouve dans la bande de Nains (conçue comme une troupe de combattants irréguliers) et dans la bataille de la Moria vue en flash-back. Le Grand Gobelin, avec son look de freak dégénéré et ses postures de diva, pourrait aussi être sorti des carnets du Mexicain. Rien n’est pourtant sûr. Son Hobbit, qui devait mélanger film de guerre et défilé de freaks révolutionnaires, a rejoint la liste des œuvres que l’on ne verra jamais. Et qui évoque, comme l’a écrit un jour Tolkien à son fils, « la nostalgie de montagnes que tu ne graviras jamais ».
Par Felix Mills - Première Classic
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