Michel Hazanavicius, le maître du pastiche
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Deux ans après le film Coupez !, Michel Hazanavicius, est revenu sur nos écrans fin novembre avec l’adaptation du conte de Jean-Claude Grimberg, La plus précieuse des marchandises. Une fois n’est pas coutume, Hazanavicius prend à contre-pied ses spectateurs en s’attaquant à un film d’animation pour la première fois de sa carrière. L’homme a toujours cherché à proposer des films différents en adaptant sa réalisation en fonction de l’œuvre qu’il souhaitait proposer. Cette nouvelle sortie surprenante est donc l’occasion pour nous de revenir sur la riche carrière de ce metteur en scène iconoclaste et talentueux, et d’en décrypter le style si particulier.
L’esprit Canal :
La carrière de Michel Hazanavicius a débuté à Canal+, à la fin des années 80. La chaine, en pleine ébullition créative, laissait une large place aux programmes différents et spéciaux, terreau propice pour des jeunes gens encore en formation. Ainsi, c’est dans l’émission culte des « Nuls », le JTN (Journal Télévisé Nul) qu’il œuvrera en tant qu’auteur et concepteur des séquences de détournement. Cette petite pastille lui permettra d’accéder à un projet plus ambitieux qui lancera véritablement son parcours professionnel.
En 1992, Michel Denisot, au cours son émission sur les médias « Télé dimanche », lance la première Journée de la télé, un immense appel d’offres où toutes les sociétés de productions peuvent proposer un programme court, diffusé sur Canal+ durant cette journée particulière. Le président de la société de production Dune, Robert Nador, propose à Alain Chabat de réaliser un film de détournement avec pour base des images d’archives de vieux films ou de séries télévisées. Chabat est contraint de refuser, Les Nuls ayant dû prendre une année sabbatique à la fin des années 80 pour cause de quasi surmenage. Alain Chabat suggère alors naturellement Michel Hazanavicius, puisqu’il s’occupait déjà de ce type de tâches avec la troupe d'humoristes. Robert Nador engage donc Hazanavicius et lui adjoint Dominique Mézerette, la charge de travail étant considérable pour un homme seul.
Mézerette et Hazanavicius se découvrent rapidement des inspirations communes, notamment les films de détournement du collectif « Internationale situationniste » mené par Guy Debort. Ces films éminemment politiques avaient également pour eux un humour féroce. C’est dans cette optique qu’ils vont plancher sur leur premier projet, Derrick contre Superman.
Ce film de 16 minutes est composé d’images tirées de séries télévisées des années 80, comme Starsky et Hutch, Derrick, Drôles de dames, Matt Houston, Les chevaliers du ciel, mais aussi Le Commissaire Maigret, dont Dune possède les droits. Le scénario est totalement absurde et sert essentiellement de prétexte à de nombreuses punchlines. Néanmoins, Mézerette et Hazanavicius reviennent sur des évènements récents touchant de près la télévision, comme la fermeture de la « 5 », chaîne du magnat italien Silvio Berlusconi, et la création de la chaîne franco-allemande Arté pour la remplacer. Ils se permettent même de parler brièvement des essais nucléaires français dans l’atoll de Moruroa.
Ce premier téléfilm est diffusé en septembre 1992 sur Canal+. Il plait tant à la direction de la chaîne qu’ils en commandent un autre, plus long, pour le jour de l’an 92. Mézerette et Hazanavicius ont donc peu de temps pour réaliser ce second projet et s’attaquent cette fois aux Looney Toones dont la chaine Canal+ diffuse les épisodes.
Ce film d’une trentaine de minutes, Ça détourne, est entrecoupé de sketchs interprétés par les animateurs de « Décode pas Bunny », qui propose tous les dimanches soir ce type de dessins animés. Ils ont même la chance de pouvoir compter sur les comédiens de doublage officiels des œuvres qu’ils parodient. Encore une fois le film plait. Robert Nador veut donc aller encore plus loin dans le détournement. Avec l’aide de Michel Lecourt, alors président de Warner Bros télévision en France, il parvient à obtenir les droits de l’ensemble du catalogue Warner pour les 100 ans de sa création. Dans l’esprit de la major américaine, l’idée est de proposer un petit montage de l’ensemble de leurs films pour leur anniversaire. Mais l’intention de Nador est bien différente.
Le producteur annonce à Hazanavicius et Mézerette l’obtention du catalogue Warner, et sa volonté de sortir ce nouveau film au cinéma. Les deux hommes se mettent donc au travail, avec pour seules contraintes de ne pas toucher aux productions de Stanley Kubrick et de Clint Eastwood. Rapidement, les deux réalisateurs apprennent que le projet ne sortira jamais sur les écrans, Warner ayant eu vent de la volonté de détourner avec humour leur catalogue. Il s’agira finalement d’une unique diffusion pour le jour de l’an 93, avant que le film ne soit définitivement enterré. Ainsi, La classe américaine voit le jour sur nos petits écrans durant le réveillon.
Mais malheureusement pour la Warner, le succès est tel que le film devient rapidement culte pour un cercle de privilégiés. Il fuite, certainement enregistré par de nombreux abonnés qui le transmettent afin de convertir un nouveau public. Le succès est, encore aujourd’hui, retentissant, les amateurs s’échangeant les punchlines comme autant de clins d’œil entre initiés.
Durant les années 90, Michel Hazanavicius travaillera essentiellement comme auteur ou acteur pour des personnes issues ou travaillant pour Canal+. On le voit d’ailleurs dans les longs métrages des Nuls en tant que personnage secondaire ou figurant, souvent prénommé Régis, comme le célèbre con de leur émission. Alain Chabat va même jusqu’à donner son patronyme, Hazanavicius, comme un gag pour son chien Lituanien joueur de foot dans Didier.
Ce n’est finalement qu’en 1999 que Michel Hazanavicius se lance véritablement comme réalisateur avec le film Mes amis, une satire sur l’univers des sitcoms et inspiré d’AB production. Cette première réalisation ne connait pas un grand succès. Seulement, en 2006, Hazanavicius va réaliser à nouveau un film culte, qui va lancer l’univers d’un personnage bien ancré dans l’esprit de son époque.
Vous reprendrez bien un peu de pastiche ?
Biberonné par le fameux « esprit Canal », Michel Hazanavicius ne va pas s’en départir pour cette seconde réalisation. Il s’attache cette fois les services de Jean-François Halin, célèbre auteur des Guignols de l’info, pour co-écrire avec lui l’adaptation des livres (bien français) de la famille Bruce, à propos d’un espion américain d’origine française désormais un peu oublié : OSS 117.
Cette série de livres a déjà connu des adaptations à succès à la fin des années 1950, mais surtout dans les années 1960. Pourtant, bien loin de vouloir concurrencer les James Bond de Daniel Craig, Michel Hazanavicius et Jean-François Halin ont plutôt dans l’idée de proposer une variante comique, un pastiche des Bond outrageusement macho avec Sean Connery, tout en ne manquant pas de tirer à boulets rouges sur le chauvinisme, le racisme, et surtout l’esprit bien colonial de son personnage principal.
Dans ce nouveau film, Hubert Bonisseur de La Bath devient un super espion bien français, voire même franchouillard, sûr de sa personne qui va se confronter à un univers dont il ignore tout, afin de déjouer une conspiration dans la cité du Caire en Égypte. Hazanavicius pousse le pastiche plus loin encore en adaptant sa réalisation aux styles des films de James Bond des années 60, mais aussi des OSS 117 originaux. L’humoriste Jean Dujardin est rapidement choisi pour interpréter cet espion haut en couleur, signant avec ce film sa première collaboration avec le réalisateur.
Dujardin va apporter une certaine candeur presque enfantine au personnage, que le public ne doit pas complètement détester pour que le film fonctionne. Le succès est cette fois au rendez-vous, le long-métrage totalisant plus de 2 millions d’entrées en France. De même, OSS 117 est nommé dans plusieurs catégories aux César 2007, notamment meilleur acteur pour Jean Dujardin, et meilleure adaptation pour le scénario de Michel Hazanavicius et Jean-François Halin.
Une suite est rapidement mise en chantier, OSS 117 Rio ne répond plus, et verra le jour sur les écrans français en 2009. La recette est toujours la même, un pastiche efficace des films d’espionnages des années 1960, avec de nombreuses références à différents films de cette période. Une nouvelle fois, les auteurs se permettent un sous-texte politique par l’intermédiaire de la stupidité de leur personnage principal et des situations qu’il rencontre. Ce nouveau film fonctionne moins que le précédent, mais atteint tout de même le million d’entrées.
Pour son projet suivant, The Artist, Michel Hazanavicius ne va pas chercher la facilité. Si avec ses deux OSS, il souhaitait pasticher les films des années 1960, c’est carrément au cinéma muet qu’il cherche à s’attaquer à présent. Le budget du film est très difficile à monter, les investisseurs se montrant frileux à financer un film muet en noir et blanc en 2011. Malgré tout, grâce à l’aide précieuse de Thomas Langmann, fils du célèbre producteur Claude Berri, et de sa société « La petite Reine », le projet parvient à voir le jour.
The Artist raconte l’histoire d’un célèbre acteur du muet qui voit sa célébrité et son aura s’effondrer à l’apparition du parlant. Une histoire qui a inspiré de nombreux films comme Singing in the rain ou même encore plus récemment Babylon de Damien Chazel. Michel Hazanavicius va toutefois piocher dans la réalisation des films de cette époque, pour en proposer une version proche à l’extrême. Il utilise aussi une forme d’humour typique des comédies muettes de Charlie Chaplin, Buster Keeton ou Laurel et Hardy, à savoir du comique de situation, du burlesque, tout en étant fidèle au fond tragique et classique de ce type de production.
Avec The Artist, Michel Hazanavicius livre un vibrant hommage au cinéma muet et définit véritablement son style, qu'il adapte à la réalisation de chacun de ses projets en fonction des thèmes et des idées qu’il y développe. À la fin de son montage, il est même sélectionné à la surprise générale en compétition officielle au Festival de Cannes 2011. Jean Dujardin, qui est une nouvelle fois la tête d’affiche, y obtient même le prix d’interprétation.
Mais le succès de The Artist ne s’arrête pas là, puisqu’il sera couronné de cinq Oscars en 2012, dont celui du meilleur réalisateur pour Michel Hazanavicius, mais aussi meilleur film et meilleur acteur pour Jean Dujardin. Il obtient également la consécration en France avec six César, Michel Hazanavicius recevant même la statuette du meilleur réalisateur. Avec cette prise de risque insensée, Hazanavicius a donc atteint la consécration nationale et internationale, obtenant à la fois le succès public et critique. Néanmoins, pour la suite de sa carrière, il va continuer à prendre tout le monde à contre-pied.
Après The Artist, il s’attèle à la réalisation d’un remake d’un drame méconnu des années 1940, The Search. Il déplace l’histoire originale, qui se déroulait à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la fin de la seconde guerre de Tchétchénie, en 1999. Les deux scénarios sont également plutôt éloignés, hormis peut-être l’idée d’un enfant qui cherche ce qu’il reste de sa famille après un horrible conflit. Mais le film ne séduit ni la critique ni les spectateurs. Malgré sa volonté de s’émanciper de la comédie, le public ne semble pas près de voir Michel Hazanavicius s’éloigner d’un genre qui a fait son succès.
Loin de se laisser influencer par ces vents contraires, Michel Hazanavicius va continuer à tracer sa route, en choisissant des projets qui le passionnent. Son film suivant est un biopic sur Jean-Luc Godard, figure mythique de la nouvelle vague au style inimitable. Une fois encore, fort de ses principes et de sa méthode de réalisation, Michel Hazanavicius va adopter l’aspect de son sujet afin de le traiter au mieux.
Le Redoutable reprend des idées typiques de Godard, à savoir les nombreuses parties qui segmentent le film, la voix off, les sous-titres décrivant les pensées profondes des personnages, les décalages de son intempestif, mais aussi l’affranchissement du quatrième mur. Le long métrage n’en est pas moins un portrait quelque peu ironique du cinéaste, qui ne manque ni d’humour ni de mordant, en adaptant pour cela l’autobiographie d’Anne Wiazemsky, sa seconde compagne.
Hazanavicius gagne également plus de liberté, puisqu’il produit lui-même ce projet via une entreprise de production fondée en compagnie de Riad Sattouf et Florence Gastaud, « Les compagnons du cinéma ». Mais une fois encore, cette production ne rencontrera pas son public, n’accumulant que cent-mille entrées sur le sol français. Le film suivant, Le prince oublié, pastichant cette fois l’univers de Pixar, sera lui beaucoup plus profitable pour le metteur en scène.
Le film a pour tête d’affiche Omar Sy, acteur à la popularité indiscutable. Il a également un sujet plus familial, qui permet ainsi d’attirer un public plus large. Seulement, un évènement planétaire va mettre un arrêt brutal à son exploitation, puisque la pandémie de Covid 19 va se déclarer subitement, fermant les portes des salles de cinéma pour un long moment. Cet évènement exceptionnel vient mettre également un frein à son projet suivant, La plus précieuse des marchandises, qui initialement aurait dû arriver beaucoup plus tôt sur nos écrans.
Hazanavicius revient finalement en 2022, avec le remake d’un film japonais, Coupez !. Très proche de l’esprit Canal de ses débuts de réalisateur, on retrouve ici l’humour pinçant et la débrouille qui ont fait sa force. Sans fioriture, le film est tourné avec un petit budget et des moyens de tournages modestes. Il en ressort une comédie efficace, ode à la passion de l’art cinématographique, mais aussi du cinéma de série Z.
Le personnage de Romain Duris retrouve le feu sacré grâce à sa fille, justement interprétée à l’écran par la fille de Michel Hazanavicius, Simone. Comme un miroir de la propre passion de Michel Hazanavicius, c’est en se mettant pleinement au service de son œuvre, par les galères et la débrouille qui en découle, que le metteur en scène du film retrouve le goût de faire son métier.
Michel Hazanavicius est résolument un réalisateur à part dans le microcosme du cinéma français. Jamais là où on l’attend, il a su, au fil des années, rester fidèle à ses idées et à sa passion. À l’image d’un Tarantino aux États-Unis, Michel Hazanavicius est avant tout un cinéphile, un passionné de cinéma. Toujours au service de ses projets, il est passé maître dans l’art délicat du pastiche et de l’hommage. Jamais loin de l’esprit Canal où il a appris son métier, ses films ont un sous-texte, un discours bien précis sur notre société. Réalisateur français ayant remporté les récompenses internationales les plus prestigieuses, il n’a plus rien à prouver. Dans une idée de transmission, Michel Hazanavicius a été nommé en juillet 2019 président du conseil d’administration de la FEMIS, la plus prestigieuse école de cinéma française.
Raphaël BLEINES-FERRARI
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