The Substance : Coralie Fargeat noie les diktats de la beauté dans un bain de sang
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Depuis sa présentation au 77e Festival de Cannes, où il a remporté le Prix du scénario, The Substance divise la critique, provoquant des réactions contrastées, entre choc et jubilation. Après Revenge (2017), Coralie Fargeat explore une nouvelle forme de vengeance en s’attaquant aux injonctions qui fantasment, dissèquent et enferment les corps des femmes. Plus cruelle qu’un miroir magique et plus toxique qu’une pomme empoisonnée, la substance verte qui imbibe cette fable audacieuse donne lieu à un spectacle de body horror mémorable.
Miroir, mon beau miroir, montre-moi la meilleure version de moi-même
« Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? »
C’est la question qui est posée à Elisabeth Sparkle (Demi Moore), la star hollywoodienne de The Substance. Animatrice d’une émission de télévision durant laquelle elle donne des cours de fitness en justaucorps, Elisabeth est licenciée par son infect producteur (Dennis Quaid) à cause de son âge. C’est bien connu, Hollywood déteste les corps vieillissants. Mais voilà qu’une solution idéale se présente à elle : la substance. La promesse est claire : une nouvelle version d’elle-même, plus jeune, accessible en une simple injection. Cet élixir de jouvence est livré en kit, avec un mode d’emploi et la seule règle de partager son temps avec son double : une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre. Mais que l’on connaisse le terrain de jeu de Coralie Fargeat ou pas, nous ne sommes pas dupes. Face à ce produit miracle qui pourrait être la composante d’un pacte faustien, nous savons que les règles sont faites pour être transgressées.
À l’heure où les messages dits de « développement personnel » inondent les réseaux sociaux et où le narcissisme semble être devenu une norme, The Substance résonne comme un hurlement d’effroi et de colère. Sans proposer une réflexion révolutionnaire sur la misogynie, l’âgisme ou le culte de l’apparence, le long-métrage s’intéresse à leurs conséquences destructrices. Pour ce faire, le film se nourrit, tel un monstre, de grands classiques du genre horrifique, pour recracher une satire féroce, à la mise en scène sophistiquée. Avec un sens du rythme remarquable, Coralie Fargeat réussit la mission périlleuse de canaliser ce monstre, le temps de nous permettre de nous reconnaître dans un reflet intime et universel, avant de laisser éclater sa fureur.
Le culte de l’apparence, une arme de destruction massive
Pour représenter la violence des diktats de la beauté et de la jeunesse sur les corps, Coralie Fargeat a choisi le body horror. Toniques, harmonieux, déformés, lacérés, putréfiés ou monstrueux : dans The Substance, les corps sont malmenés jusqu’au délire. À l’image, cela se traduit par d’impressionnants maquillages, prothèses et effets visuels, mais aussi par les formidables performances de Demi Moore et de Margaret Qualley. Les deux actrices interprètent respectivement Elisabeth Sparkle et Sue, sa « version » plus jeune, deux femmes victimes d’injonctions cruelles et de comportements toxiques qui les conduiront à la recherche obsessionnelle d’une perfection illusoire. En plus de donner à voir la violence intériorisée au grand jour, Coralie Fargeat ne se prive pas d’y répondre. The Substance est non seulement une expérience sensorielle follement généreuse, mais aussi un film qui nous emmène jusqu’au bout de ses idées sans concessions, usant et abusant d’un humour noir qui nous transporte entre la colère, le rire et le dégoût.
Coralie Fargeat signe ainsi un second long-métrage cathartique, réjouissant et terriblement efficace, qui fait voler en éclats le reflet grimaçant que nous renvoie le culte de l’image. Vous l’aurez compris, The Substance ne vous offrira pas une seconde jeunesse, mais le spectacle vous laissera aussi horrifié qu’euphorique, avec, peut-être, l’envie d’accepter de vieillir.
Marie Serale | @marie_serale
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